Pourquoi suis-je addict à Compostelle?
Anecdotiquement, pérégriner sur les Chemins de Saint-Jacques de Compostelle m’a conduit en Aubrac. Parmi ce plateau d’une beauté sauvage toute gauloise, j’ai appris que dans certains burons d’Aveyron (ancienne fabrique de fromage) on y fait revivre les traditions pastorales du plateau. On croit encore y entendre le bruit des cloches que portait le bétail. Au XIX° siècle, ces cloches, fondues dans le département du Doubs, étaient un signe de richesse. En Aveyron (Saint-Chély-d’Aubrac, Espallion, Estaing, Conques), les cloches étaient gravées aux noms des enfants et petits enfants du propriétaire du troupeau.
Plus concrètement, je suis curieux. Je lis beaucoup et je suis l’actualité générale. Je discute et je digère tout cela. Dans le quotidien, les gens m’étonnent… et me déçoivent parfois. Et quand je me trouve sur le Chemin de Compostelle, je prends une certaine distance par rapport au direct et je m’intéresse à l’histoire de chaque pèlerin qui suit les mêmes parcours que moi, chemin géographique et parcours spirituel, en cette période de retraite annuelle. Tout le monde a quelque chose à raconter, toute vie a du sens. J’aime savoir ce qui remplit de bonheur les pèlerins avec lesquels je sympathise, quelle relation ils ont avec leurs proches, quel regard ils ont sur le monde du travail ou sur l’image qu'ils se font de notre Europe dans vingt ans.
Quand je suis en chemin, je quitte les délires idéologiques qui font débat, ces joutes verbales qui cachent les vrais problèmes, la crise économique, la pauvreté et les bas salaires. Je préfère penser à la reconnaissance du miracle qui ouvre la voie de la béatification de Jean-Paul II après que la guérison inexpliquée de sœur Marie Simon-Pierre, une religieuse française de 44 ans souffrant de Parkinson eut été attribuée à l’intercession du pape plonais. Et puis je pense beaucoup aux moyens qui vont être mis en œuvre pour sortir de la confrontation et pour organiser le dialogue entre les religions afin de faire bouger la situation chez nous et ailleurs, c’est le problème de l’islam en Europe, pollué par les avatars d’une forme d’islam terroriste pourtant fortement minoritaire dont l’extrémisme nous paraît bien envahissant .
Se retrouver randonneur de longue durée, c’est parfois approcher la condition de ces gens qui vivent dans la rue, dans nos villes et campagnes françaises. Et cela déclenche naturellement la réflexion sur les causes qui poussent certains individus à devenir SDF. Le chômage, la crise, les lois impitoyables qui régissent notre pays ? C’est sur le chemin de Compostelle que j’ai abordé l’idée que c’est le manque d’amour dans leur petite enfance qui a fait dégénérer ces naufragés de la vie. En effet, l’amour de son père et de sa mère diminue considérablement le risque qu’un jeune enfant devienne plus tard SDF. Cet amour parental est une protection pour toute la vie.
Pendant mes cheminements sur ce que jappelle volontiers le "Camino magique" je pense à toutes ces récentes catastrophes naturelles qui seraient dues aux changements climatiques et surtout je m'interroge
: quelle Terre allons-nous laisser à nos enfants?
On a le temps, on est en dehors du système et donc notre esprit est disponible pour toucher à tout, faire des arrêts sur images, se poser des questions, parfois essentielles, ce que le rythme endiablé de notre quotidien ne nous permet pas de faire.
Quand je pérégrine, je ne suis pas en permanence pendu à mon virtuel téléphone mobile en conversation avec Notre-Père - si, une bonne heure chaque matinée - je conserve la conscience qu'il ne faut pas indéfiniment s'accrocher aux nuages sur lesquels j'adore planer. Les choses terre à terre s'imposent et il faut penser toujours à un moment ou un autre de la journée à la logistique afin de ménager la pérénnité du périple pédestre.
Enfin, avec toutes les rencontres, la vie de pèlerin me fait mûrir plus vite. Car il faut admettre que même à 60 ans bientôt, on a besoin d’acquérir encore de la maturité. C’est une des nombreuses leçons apprises en « faisant Compostelle » : atteindre son plein développement intellectuel grâce au temps disponible à la réflexion. Je ne connais pas beaucoup d’autres démarches qui permettent de rendre sage le garnement qui sommeille toujours en moi.
Le polisson, parfois coquin, que je ne peux m'empêcher d'être, chemine en gardant bien présente à l'esprit la devise des compagnons, ceux qui pérégrinent à travers la France - plusieurs années d'itinérance - "Servir sans s'asservir ni se servir". Se déclarer pèlerin procède d'une démarche altruiste, en développant son sens de l'entraide, en apportant son sens pratique pour faire des propositions afin de faire progresser l'âme de Saint-Jacques de Compostelle. La communauté des pèlerins partage en grande majorité - quoi que - l'esprit et la façon de se comporter du jacquet (la jacquet attitude), imprégnée d'une espérance durable.
Je suis heureux de vous faire part de ces réflexions, fruits de quatre années de pèlerinages de Compostelle.