Les alentours de l'An 1400 sont riches en événements de toutes sortes et marquent indubitablement un tournant de grande importance dans l'évolution de la société occidentale. C'est à peu près le milieu de ce qu'on appelle la guerre de Cent ans, laquelle a bouleversé passablement les données psychologiques et morales des populations qui l'ont subie à leur corps défendant, puisqu'il s'agissait avant tout de querelles dynastiques concernant les grands de ce monde et non pas le menu peuple. Celui-ci se moque éperdument d'être français, anglais ou breton. Il veut vivre en paix, mais il ne le peut pas.
La guerre n'explique pas tout. Il y a eu la Peste Noire (1347-1352), et le contact avec la mort a considérablement atteint les mentalités. L'Eglise chrétienne, déchirée par le Schisme d'Avignon (1378-1417), provoqué par le roi de France Philippe Le Bel (1285-1314) n'en finit plus de ravager les consciences.
Le règne de Philippe le Bel est marqué par ses différends avec le pape Boniface VIII, dont le point central est le droit que s'attribue Philippe Le Bel d'imposer - taxer - les biens de l'Eglise situés dans son royaume, la France.
De plus, en certaines régions, la doctrine officielle et les usages de l'Eglise institutionnelle sont mis en doute, voire franchement combattus. C'est l'époque où, en Bohême, Jan Hus, réformateur religieux tchèque alerte les foules sur les perversités du Christianisme et propose des réformes essentielles. Les opinions de Jan Hus seront évidemment rejetées et lui-même périra, comme hérétique, sur un bûcher, en 1415. Mais c'est un avertissement.
Désormais, la papauté, arrogante bien que décadente, ne sait plus à quels saints se vouer. Le trafic des indulgences, qui sera dénoncé plus tard non seulement par Luther mais par bien d'autres théologiens de bonne foi, les doutes, les incertitudes et les controverses divisent la Chrétienté, par ailleurs menacée par l'avance des Turcs musulmans, et sont les premières manifestations de révolte qui conduiront à la Réforme du XVI° siècle.
Qui est qui, dans tout ce mélange? Qui a tort et qui a raison? Le système féodal lui-même, pourtant solidement construit, s'effondre peu à peu, même si l'on tient à en conserver les apparences. L'esprit chevaleresque n'est plus qu'un vague souvenir qui fait rêver les lecteurs des Chansons de Geste ou des Romans de la Table Ronde remis au goût du jour dans les versions édulcorées. La chevalerie française est morte en fait à Crécy en août 1346 (aube de la Guerre de Cent Ans où les deux plus grandes monarchies d'Europe vont se disputer le trône de France durant un interminable conflit à forts rebondissements et multiples trêves), et elle ne l'a même pas compris puisqu'elle mourra une deuxième fois, et définitivement, à Azincourt (Artois) en octobre1415. On n'en est plus aux combats loyaux de chevaliers fiers de leurs convictions ou de leurs engagements vis-à-vis d'un seigneur à qui ils ont juré fidélité et service. Les guerres se font par mercenaires interposés, des hommes d'armes de métier, et qu'il faut bien se résoudre à payer, d'où la nécessité de trouver de l'argent, pour ceux qui décident de s'attaquer à leurs voisins ou à leurs concurrents.
Aux XIV° et XV° siècles, il serait absurde de parler d'un "patriotisme" breton. Dans aucun pays d'Europe, cette notion n'existe et, malgré une certaine tentative réussie au temps de Jeanne d'Arc (1412-1431), il faudra attendre la Révolution française (1789) pour qu'elle devienne un puissant moteur d'unification et, aussi malheureusement, d'agressivité. Cette époque qui entoure l'an 1400 laisse entrevoir la montée de ce qu'on peut appeler les nationalismes, c'est-à-dire de la prise de conscience de l'appartenance à une communauté liée par des intérêts aussi bien culturels qu'économiques.
En 1400, tous les Bretons sont persuadés de la réalité historique de Konan. "De l'anonyme de Saint-Brieuc à Bouchart (Le Chronicon Briocense est un ouvrage anonyme, mais probablement écrit par Hervé Le Grant, secrétaire de Jean IV, entre 1389 et 1416. Alain Brochart, secrétaire du duc François II, compose les Grandes Chroniques de Bretagne vers la fin du XV° siècle.), tous les historiens encouragent la fierté du peuple breton en lui rappelant ses glorieuses origines qui en font l'égal de son voisin français. L'origine troyenne apporte même une solution commode pour la langue bretonne. Bouchart, comme d'autres historiens, n'écrit-il pas: "Le langage breton est le vrai et ancien langage de Troie comme je l'ai lu en aucunes histoires". Au début du XIX°, on ira encoe plus loin, et les "celtomanes", comme le fameux La Tour d'Auvergne ou encore le linguiste Le Brigant, n'hésiteront pas à affirmer que "le breton était la langue parlée au Paradis Terrestre."
Le coup d'envoi de cette campagne de propagande nationaliste - et nttement anti-française - est certainement le Livre du bon Jehan, duc de Bretagne, écrit vers 1400 par Guillaume de Saint-André, l'un des conseillers les plus influents de Jean IV, donc contemporain des évènements qui ont marqué la fin du XIV°siècle. Il décrit les Bretons et les Français de cette époque comme deux peuples tout à fait différents. Pour lui, les Français méprisent les Bretons, voudraient les asservir, ou mieux encore, les massacrer afin de repeupler le duché avec des immigrants venus du reste du royaume. La Bretagne perdrait alors son nom et deviendrait "la Confisquée". On voit que la tentative d'annexion opérée par Charles V n'avait pas été oubliée, ni pardonnée. De toute façon, pour Guillaume de Saint-André, les Français sont un peuple servile, dominé par un roi qui est un tyran, tandis que la Bretagne est le pays de la liberté par excellence.
En 1470, l'historiographe d'Anne de Bretagne écrit: "En ce temps-là, s'élabore peu à peu un ensemble de textes visant à façonner un sentiment national breton. Historiens et chroniqueurs sont à la pointe de ce mouvement, dotant le duché d'un passé prestigieux, remontant à Brutus et au Troyen Enée. L'initiative de ces récits vient du milieu des conseillers ducaux, sinon ducs eux-mêmes, et s'accompagne de la fabrication de fausses chartes révélatrices. Tous les moyens sont employés pour répandre cette idée. Le cérémonial du couronnement ducal est élaboré à l'imitation de celui des rois. Il se déroule à Rennes, suivant un rite symboliquecomplexe au cours duquel le duc revêt le manteau des rois de Bretagne, reçoit l'épée nue, la bannière du duché, la couronne ducale, de plus en plus ornée, et promet de respecter les libertés fondamentales du pays.", ce qui affirme que le souverain breton, autrefois un roi, n'a pas perdu ses privilèges royaux en devenant duc.
La cérémonie d'intronisation réhausse singulièrement le prestige de celui qu'on déclare solennellement duc de Bretagne. D'après un texte de 1485, une telle intronisation ne peut que se dérouler à Rennes, "en laquelle nos prédécesseurs et nous avons pris et prenons les insignes de notre principauté".