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21 octobre 2013 1 21 /10 /octobre /2013 17:33

S’il est vrai que l’Europe n’est aujourd’hui l’objet d’aucune menace militaire extérieure, l’incertitude du monde invite les Européens  à la grande prudence pour faire face à toutes les surprises possibles. En matière de défense, on voit bien que l’alternative devant laquelle les Européens sont placés aujourd’hui est cruelle : peut-on faire une synthèse efficace des différentes formules de défense européenne testées depuis vingt ans ; si oui, ce serait alors une simple affaire de réglages politoco-administratifs à ajuster aux moyens disponibles ? Ou bien, s’il n’y a pas de chemin vers l’autonomie de sécurité de l’Europe, faut-il envisager un ensemble plus vaste, celui d’un large Occident défensif rassuré par les Etats-Unis, voire une communauté transatlantique intégrée ? Dans le premier cas, on confie la tâche à des experts de la sociologie des institutions et dans l’autre, on passe sous contrôle stratégique américain, avec le secret espoir de faire valoir auprès d’eux, « à l’anglaise », nos intérêts.

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À ce dilemme jamais exposé clairement, on évite aussi de répondre. D’une part, en France on voit l’Europe puissance comme une perspective évidente, alors qu’elle est vue avec suspicion ailleurs. D’autre part, pour beaucoup, la coïncidence des intérêts, des valeurs et des responsabilités  européennes et américaines va de soi. Voilà qui explique le flottement stratégique observé. On pourrait aussi objecter aux uns et aux autres quelques non-dits stratégiques essentiels pour expliquer cette impuissance collective.

D’un côté, l’Europe puissance est la racine profonde de l’Europe de la défense. Mais de la puissance, on ne parle pas vraiment car chacun en a une définition propre, qui est rapportée à son histoire et à sa géographie. Il n’y a pas de vision politique partagée de la puissance de l’Europe, entre celle financière d’un grand marché ouvert à Londres, d’une puissance civile, industrielle et commerciale à Berlin, d’une puissance globale, industrielle, culturelle, militaire à Paris. Aucune synthèse ne semble possible, d’autant que l’option nucléaire de Paris et de Londres perturbe profondément les perceptions des autres Européens.

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De l’autre, comme le récent pivotement le révèle, les Etats-Unis sont entrés dans une ère de la puissance relative. Ils ne sont plus principalement concernés par les enjeux de sécurité européens et leurs priorités vont d’abord à leurs compétiteurs en Asie. La garantie qu’ils ont acquise de l’accès politique, stratégique, industriel et commercial à l’Union européenne et à son marché ouvert, l’alliance militaire  qu’ils entretiennent désormais à moindre frais avec des Européens qu’ils refusent de traiter en bloc unis, l’accès qu’ils maintiennent à l’Asie de l’Ouest (Israël et le pétrole) et à l’Asie centrale (gaz t confinement chinois), tout cela satisfait leurs impératifs stratégiques. Pourtant, l’échec répété des opérations militaires non conclues en Irak et en Afghanistan, la tension entretenue autour de la Palestine et de l’Iran, l’effervescence arabe montrent les limites atteintes des capacités de manœuvre de l’Otan sous la direction américaine et des structures de régulation onusienne que les Américains contrôlent. L’impuissance gagne du terrain. Les Européens que la continuité territoriale lie directement les Russes, aux Turcs, aux Syriens, aux Egyptiens, aux Maghrébins et aux Sahéliens entretiennent des rapports avec leurs voisinages  bien différents. Leurs intérêts diffèrent là bien souvent de ceux des Américains et ils doivent se garder d’être enrôlés dans une  manœuvre qualifiée bien improprement d’euratlantique. La question récurrente du bouclier antimissile, véritable obsession américaine, en est une révélation emblématique.

Tout cela et bien d’autres réalités encore invalident sans doute l’Europe de la défense telle que la France s’épuise à la promouvoir sans succès mais aussi la dévolution d’autorité stratégique de l’Union à l’Otan que pratiquent sans vergogne certains de nos partenaires européens et que préconisent certains Français eurosceptiques ou occidentalistes.

Ce qu’il faut sans doute, c’est un ensemble européen qui ne soit pas une forteresse assiégée mais un espace dont la diversité a été intégrée dans une architecture suffisamment flexible pour absorber et valoriser toutes les différences internes au service du développement. C’est une continuité énergétique sécurisée avec nos voisins slaves et asiatiques et une zone partagée de coprospérité  économique avec nos voisins d’Afrique du Nord.

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Ce dont nous avons besoin maintenant, c’est d’une sécurité collective des espaces européens, centrée sur des intérêts communs régionaux identifiés et non d’un bouclier antimissile conçu ailleurs pour neutraliser une attaque hypothétique provenant d’un arc de crise dont la tragédie est d’abord socio-économique. Au sein de l’ensemble constitué, ce qu’il faut, c’est laisser s’agréger plus étroitement en noyaux homogènes ceux qui souhaitent fusionner leurs destins comme l’Allemagne et la France, c’est laisser coopérer militairement de façon étroite ceux qui le peuvent, comme la Grande-Bretagne et la France l’ont décidé il y a deux ans, ou se rassembler ceux qui veulent gérer un bassin d’intérêt commun comme les Latins et les Maghrébins tentent de le faire dans l’espace 5+5.

Si l’expérience militaire de l’Europe était inexistante au début des années 1990, elle s’est développée depuis, essentiellement dans les deux domaines des opérations et de formation. Elle reste néanmoins encore assez limitée car si l’Europe dispose d’un fort potentiel dans ce domaine, il est essentiellement dépendant de la volonté des Etats-membres.

C’est au début des années 1990 que l’Union européenne (UE) nouvellement établie réalise dans les Balkans qu’elle est incapable d’agir militairement à l’intérieur même de son espace géographique. Elle ne dispose en effet ni d’expérience ni de capacité militaires propres et ce sont les Nations unies qui interviennent d’abord, en février 1992, puis finalement l’Otan, après de longues hésitations, en janvier 1995.

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Devant ce constat d’échec, l’UE va progressivement s’organiser pour acquérir une expérience opérationnelle et être ainsi capable de lancer et de conduire des opérations militaires. Un long processus est alors enclenché. C’est au cours des sommets de Maastricht en 1991 et du Conseil de l’UEO de Petersberg en 1992 puis après la rencontre franco-britanique de Saint-Malo en 1998 que sera enfin élaboré au Sommet d’Helsinki, fin 1999, le niveau d’ambition militaire européen qui prendra la forme d’un objectif global. Est alors arrêté le principe  d’une capacité de réaction militaire standard permettant de déployer jusqu’à 60 000 hommes en 60 jours pendant une année, avec des dispositifs de réaction rapide aérienne et maritime adaptés. C’est à Nice, fin 2000, sous la présidence française que sera arrêté le cadre pratique de la politique de sécurité et de défense de l’UE et de ses actions en matière de gestion de crises prolongeant le Traité d’Amsterdam de 1997.

L’UE va pouvoir, sous l’impulsion de son nouveau Secrétaire général Javier Solana se doter des instruments indispensables pour planifier et lancer des opérations. Le Comité militaire intérimaire (CMUE) en mars 2000 : réunion des chefs d’état-major des Etats membres ; L’Etat-major de l’UE : l’EMUE en janvier 2001, le corps franco-allemand devenu Corps européen (CE) créé en 1992, l’Euromarfor et l’Eurofor, structures militaires de l’UEO, cette dernière dissoute depuis 2012 ; les Groupements tactiques 1500 ou BG 1500 déployables en 15 jours à 6000 km ; la Force de Gendarmerie européenne (FGE).

Les trois formes de la chaîne de commandement :

Purement européenne, (un seul état-major de mission (MHQ) qui assure à la fois les fonctions d’un QG opérationnel et d’un État-major de force (FHQ) réunis (EUTM Somalie et Mali))

Repose sur un QG opérationnel national,

Utiliser les capacités de l’Otan dans le cadre des accords « Berlin+ ». (Une seule opération à ce jour, Althéa a répondu à cette chaîne de commandement).

Toutes ces dispositions ont permis à l’UE de déployer huit opérations militaires depuis 2003 : Concordia dans l’ancienne république yougoslave de Macédoine en 2003 avec 325 hommes, Artemis en RDC (Congo) en 2003 également avec 2200 hommes, EUFor Althéa en Bosnie en 2005 avec 860 hommes, EUFor Congo en 2006 avec 800 hommes, EUFor Tchad en 2008 avec 3500 hommes, EUNavFor Atalanta en 2008 avec 5 à 13 bâtiments de combat, EUTM Somalia en 2010 avec 125 hommes et enfin EUTM Mali en 2013 avec 450 hommes.

Toutes ces opérations ont démontré la capacité de l’Union européenne à conduire des actions multinationales d’envergure moyenne dans des environnements souvent difficiles. Elles ont par ailleurs permis de protéger des populations déplacées ou réfugiées, d’assurer un soutien humanitaire mais aussi d’aider à la stabilisation toujours difficile de ces régions. Grâce à Atalanta, la piraterie commence à diminuer au large des côtes somaliennes et les attaques sont passées de 176 en 2001 à 35 en 2012Les missions de formation EUTM Somalia et EUTM Mali permettent à des armées fragiles d’acquérir  ou de retrouver des structures et des capacités minimales.

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Le Traité de Lisbonne en 2009 et la création et la création du Service européen pour l’action extérieure (SEAE) en 2010donnent néanmoins à l’Union européenne de nouvelles perspectives militaires. En effet, l’UE est aujourd’hui en pleine mutation pour ne pas dire en pleine révolution. La création du SEAE a totalement changé l’organisation bruxelloise en établissant en quelque sorte deux ministères, « Affaires étrangères » et « Défense », et en les regroupant dans une même organisation et dans une seule main. La Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) est donc conduite sous le contrôle et suivant les directives des États-membres pour le SEAE qui regroupe en son sein tous les organes en traitant ; ce sont le Directorat  pour la politique de sécurité et la prévention des conflits, le Directorat pour la planification et la gestion des crises (CMPD), le CPCC, l’EMUE et le centre de renseignement (INTCEN). Le président du Comité militaire est également confirmé comme conseiller militaire du Haut Représentant.

Cette nouvelle organisation ainsi que les enseignements tirés des dernières opérations et missions de l’UE mettent en évidence qu’aucune action de l’UE n’est uniquement militaire. Cette donnée a conduit à remettre en valeur le concept d’approche globale, qui n’est certes pas nouveau mais doit aujourd’hui être adapté. L’UE dispose en effet d’un grand nombre d’instruments qu’elle peut employer simultanément ou successivement, dont l’instrument militaire est le plus puissant et le plus sensible à mettre en œuvre ; cette réalité impose de définir de bonnes procédures pour y pourvoir.

La vraie question qui se pose à l’Europe aujourd’hui n’est pas une question d’expérience militaire pas plus que de moyens, de procédures ou de finances mais bien une question de volonté politique pour déclencher des actions militaires en son nom.

En effet si l’on considère par exemple par exemple l’outil BG 1500, pourquoi n’a-t-il jamais été utilisé jusqu’à présent ? Plusieurs raisons peuvent sans doute l’expliquer : il n’y a pas eu de réel besoin de cet outil en tant que tel, les dernières opérations militaires de l’UE n’ont pas atteint un seuil de menace qui aurait justifié l’emploi d’un BG… Mais on peut surtout se poser la question de la volonté politique d’employer cet outil malgré le soutien unanime des États-membres au concept lui-même ; on peut aussi douter de la validité du processus décisionnel dans une situation d’urgence opérationnelle. Un autre exemple est celui de l’OHQ européen dont tous les experts s’accordent pour reconnaître qu’il serait indispensable à la planification et à la conduite des opérations militaires européennes. Et pourtant, malgré ce constat fait depuis plusieurs années, il n’est toujours pas en place, là encore pour des raisons politiques.

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À cela on peut ajouter la concurrence redoutable de l’Otan qui, pour beaucoup d’États-membres, est le seul recours possible en cas d’opération militaire d’envergure. Une capacité militaire européenne trop importante ferait à leurs yeux double usage. Ces États européens refusent donc tout investissement militaire important au profit de l’UE et s’attachent à limiter son expérience militaire.

Enfin, les difficultés financières que connaissent aujourd’hui la grande majorité des États européens ne facilitent ni l’augmentation ni même le maintien des budgets de défense.

En définitive, aussi longtemps que les Européens n’auront collectivement ni la volonté politique ni la nécessité stratégique d’agir pour la défense de leurs intérêts, la question se posera de l’utilité de moyens et d’expérience militaire spécifique au sein de l’Union européenne.

Plusieurs éléments aujourd’hui permettent néanmoins de penser que l’expérience militaire européenne pourrait bientôt connaître des jours meilleurs.

Tout d’abord il est un fait que l’Europe n’avance que lorsqu’elle est vraiment au pied du mur. C’est exactement ce qui s’est passé dans les années 1990 pour la PSDC. Or, aujourd’hui, ne sommes-nous pas à nouveau au pied du mur ? La crise financière, les menaces qui planent de plus en plus sur nos pays et sur nos intérêts dans l’ensemble du monde, la montée des intégrismes et du terrorisme nous poussent à réfléchir en commun ; et viendra le moment de mettre en commun nos moyens et nos capacités, en particulier militaires.

Par ailleurs la position des États-Unis qui « rebalancent » leurs efforts stratégiques vers l’Ouest, appelle de la part des Européens une réflexion nouvelle sur leurs capacités militaires et leur aptitude à prendre en compte la défense de leurs intérêts, et en conséquence à mieux coordonner et utiliser leurs moyens militaires.

Dans cette perspective-là, une fenêtre d’opportunité s’offre à nous dans les mois qui viennent. Tout d’abord la révision du SEAE après trois ans d’existence devrait permettre de revoir son organisation et les besoins réels des Européens en matière de sécurité et de défense. On peut aussi espérer que le Conseil européen de fin d’année que le président Van Rampuy a convoqué pour traiter de la PSDC, va pousser les États européens à réfléchir plus attentivement à la défense de leurs intérêts et à l’exercice de leurs responsabilités de sécurité.

Ces rendez-vous sont autant d’occasions de prendre conscience de nos faiblesses en matière de défense et de sécurité et peut-être d’y faire face par des décisions importantes. Mais il faudra encore bien du temps pour acquérir un esprit européen commun de défense, cela ne se fera pas en quelques semaines !

 

Yves de Kermabon in Revue de Défense Nationale- Été 2013

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