Je suis convaincu que pour comprendre ce que fait l'Europe aujourd'hui, 9 octobre 2012 pour se sortir de la crise dans laquelle elle s'est engluée, il est utile d'analyser ce qu'il s'est passé à la mi-décembre 2011.
D'abord, je meurs d'envie de rappeler un principe fondamental qui est souvent perdu de vue:
"Trois sphères sont à l'oeuvre: les finances publiques, les marchés financiers et la sphère politique. Chacune a son mode de fonctionnement. Il faut faire marcher ensemble trois roues dentées, qui n'ont pas le même rythme, ni le même format et qui se touchent à peine."
Rappel: le scénario envisagé de façon quasi unanime fin novembre était: la dégradation de la note de chaque Etat européen, des solutions pour y remédier inefficaces, un éclatement de la zone euro et au final, la fin précipitée de la monaie unique...
En réponse à cet état d'esprit catastrophique, début décembre 2011, l'Allemagne veut renforcer la gouvernance de la zone euro et la discipline budgétaire, volonté à laquelle la France veut bien se rallier à condition que Berlin donne des gages de solidarité européenne.
L'Allemagne souhaite modifier le traité de l'Union européenne pour autoriser la Cour de justice européenne à poursuivre les pays qui enfreignent de manière répétée les règles budgétaires, qu'elle devienne une juridiction de surveillance en quelque sorte... Berlin voudrait qu'on place sous tutelle européenne les pays ne maîtrisant pas leurs comptes publics, un véritable abandon de souveraineté, et veut inscrire la règle d'or au traité, cette règle plafonnant le niveau de déficit permis, et pour les pays fautifs, du gel des droits de vote dans l'UE et des subventions européennes.
Comment éviter des divisions supplémentaires des 27 pays de l'UE pour signer un nouveau traité (modifier le traité de Lisbonne) ? Prévoir des dispositions sur le fonctionnement de la seule zone euro, en particulier le "protocole 14". Qui dit changement de traité de l'UE implique ratification nécessaire à l'unanimité des 27. comment faut-il expliquer et dire et enfoncer le clou que la règle de l'unanimité ne peut pas fonctionner à 27 Etats si peu homogènes? Problème: certains des pays non membres de l'euro pourraient monayer leur vote!
Les eurosceptiques britanniques réclament un rapatriement des compétences en matière sociale et de régulation financière de Bruxelles à Londres. A défaut de ratification de ce nouveau traité, Paris et Berlin pourraient en passer par un accord entre pays impliquant la seule zone euro, voire les seuls pays de l'Union monétaire qui souhaitent aller de l'avant. Au risque de créeer une Europe à deux ou trois vitesses.
6 décembre 2011: L'Allemagne et la France (mais qu'en pensent les Maltais, les Luxembourgeois, les Chypriotes, les Estoniens, les Slovènes,...) sont tombés d'accord pour renforcer la discipline budgétaire chère à Berlin. Les deux pays sont déterminés à aller très rapidement vers un nouveau traité européen.
8 décembre 2011: énième sommet européen, des enjeux capitaux face à l' "incendie". Les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne se retrouvent pour tenter de juguler la crise de la dette et rassurer les marchés. Maître mot de ce sommet: la discipline:
- renforcement de la gouvernance de la zone euro,
- changement de traité pour éviter que la zone euro ne conclue un accord séparé,
- evoluer vers l'émission en commun de dette, à travers un système d'euro-obligations,
- un pare-feu renforcé, seul moyen d'apaiser les marchés, entrée en vigueur du Mécanisme européen de solidarité (MES) appelé à succéder de manière permanente au Fonds de secours financier des pays en difficulté de la zone euro (FESF) qui dispose le 8 décembre 2011 de 250 milliards d"euros.
- Rôle de la BCE: espoir que le renforcement de la discipline budgétaire convaincra la BCE d'aider davantage les pays fragiles comme l'Italie en achetant massivement leur dette sur les marchés.
9 décembre 2011: Sommet européen à l'issue incertaine où les divisions se font clairement entendre malgré l'urgence de la situation. Jamais l'Europe n'a été aussi nécessaire, jamais elle n'a été aussi en danger, jamais le risque d'explosion de l'Europe n'a été aussi grand: tension maximale.
La disparition de l'euro est un scenario catastrophe rejeté par les grandes entreprises européennes. Elles s'y préparent néanmoins au cas où. Beaucoup de questions se posent aux entreprises si l'euro disparaît. Comment préserver ses liquidités? Où maintenir la production? Quels investissements annuler? Quelles conséquences pour les accords commerciaux transfrontaliers? Quel impact des dévaluations monétaires?
Avec l'euro, les entreprises ont gagné en stabilité et en facilité de transaction. Une stabilité qui paraît impensable de perdre quand déjà la récession économique menace leur activité.
Et pendant ce temps, en Grèce où l'Europe fait la pluie et le beau temps, le sentiment d'appartenance à l'Europe est toujours puissant, même si les habitants ont, à juste titre, le sentiment d'être gouvernés directement par l'Union européenne et le FMI. Les Grecs sont à la recherche d'une vie plus simple, la crise financière, économique et maintenant sociale a bouleversé leur vie quotidienne.