Le 23 janvier 2017, comme chaque lundi, j'accompagne mon ami Gérard pour une petite sortie en VTT (moins de 40 km). Ce jour-là, on va faire le tour de Brest. Je poste dans cet articles les images vues au cours de la randonnée et mon texte fait une loupe sur la magnifique statue de Fanny de Laninon et de Jean Quéméneur au pont de Recouvrance.
Les deux personnages emblématiques du quartier de Recouvrance sont désormais statufiés et en couple ! L’artiste Jérôme Durand est l’auteur de cette œuvre plus grande que nature. Du haut du pont de Recouvrance où elle se détache, spectaculaire, sur le ciel bleu ou vue d’en bas, au pied de la tour Tanguy, d’où l’on aperçoit l’expression, si pleine de vie, du visage, en larme, de Fanny. L’histoire que raconte cette sculpture fait très couleur locale : « Un matelot vient prévenir Fanny, dans son bistrot, que Jean Quem’ est encore en train de faire le con. Il pleut, elle descend la rue de l’église en courant, elle arrive in extremis, elle le retient par sa vareuse… L’histoire finit bien ! » « Surplombant le square Pierre-Péron, cet immense artiste, avec, en toile de fond, le château, la tour Tanguy, le port et la rade de Brest, elle ne pouvait rêver plus beau socle… »
L’association « Les Amis de Recouvrance » a fait le choix de laisser une trace pérenne du quartier de Recouvrance en offrant à la ville de Brest une statue. Cette statue évoque les deux personnages emblématiques de Recouvrance, inspirés des chansons « La complainte de Jean Quéméneur » de Henri Ansquer (1885-1961) et « Fanny de Laninon » de Pierre Mac Orlan (1882-1970), le sculpteur (Jérôme Durand) a imaginé l’uchronie Fanny part à la Recouvrance de Jean. Le cours de ces deux destins tragiques transformé, l’histoire du quartier peut être réinventée.
Dans la fiction, l’uchronie est un genre qui repose sur le principe de la réécriture de l’Histoire à partir de la modification d’un événement du passé. « Uchronie » est un néologisme du XIXe siècle fondé sur le modèle d’utopie, avec un « u » négatif et « chronos » (temps) : étymologiquement, le mot désigne donc un « non-temps », un temps qui n’existe pas. On utilise également l’anglicisme « histoire alternative » (alternate history). L'histoire contrefactuelle et l'uchronie se distinguent par la prééminence donnée soit à l'événement déclencheur (histoire contrefactuelle), soit à ses suites fictives (uchronie). Lorsqu’elle est associée à des moyens techniques qui permettent de remonter dans le temps et donc de modifier le passé, l’uchronie est directement associée au genre de la science-fiction.
La complainte de Jean Quéméneur. Henri Ansquer - vers 1900
Il s'appelait Jean Quemeneur,
Il était le fils d'une demi-sœur
De la fameuse Madame Larreur,
La grande Hortense,
Celle qui tenait un caboulot
«Aux gars de Dinard et de Saint-Malo»
En fac' la caserne du dépôt
A Recouvrance! ---- ---- ----
2. Sa mère était une Kermarec,
Vous savez bien, d'Lambezellec,
Une grosse puant du bec
Qui n'eut pas de chance
Avec Yann, son premier mari,
Bon garçon, mais faible d'esprit
Qui dans son grenier se pendit
A Recouvrance! ---- ---- ----
3. C'était parents aux Kervella
Vous avez connu ces gens-là?
Qui faisaient tant de tralalas
Et d'manigances
Portant voilettes et grands chapeaux
Qu'on aurait dit, ou peu s'en faut,
Qu'ça fréquentait des amiraux
A Recouvrance! ---- ---- ----
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Fanny de Laninon - P.MacOrlan-V.Marceau -
Une très belle chanson de Pierre Macorlan, l'auteur de "Quai de Brume". C'est l'évocation du Brest d'avant-guerre par un jeune marin du DUGUAY-TROUIN, amoureux de Fanny, la plus belle fille de Laninon, quartier de Recouvrance. Mais 20 ans plus tard, Brest n'existe plus ("Brest dont il ne reste rien" disait Prevert dans "Barbara"...) et Fanny a disparu dans la tourmente.
Les vieilles cartes postales permettent de décoder la chanson et de retrouver le Pont Gueydon, le Duguay-Trouin, les blanches baleinières, la caserne du Dépôt qu'on appelait autrefois "la Cayenne", Recouvrance, et bien sûr Laninon...
1 -Allons sur le quai Gaydon, devant l'petit pont, chanter la chanson
Le branl'bas de la croisière, et dans la blanch' baleinière
Jean Bouin, notre brigadier, son bonnet capelé, un peu su'l'côté
Me rappelle mon bâtiment, c'était le bon temps, celui d'mes vingt ans.
Le bidel capitain' d'armes, et son cahier d'punis
Dans la Cayenn' f'sait du charme, à je n'sais quelle souris
Mais j'ai dans l'coeur une souffrance, quand le quartier-maître clairon
Sonnait en haut d'Recouvrance, aux fill's de Lanninon.
2 - La plus bell' de Lanninon, Fanny Kersauzon, m'offrit un pompon
Un pompon de fantaisie, c'était elle ma bonne amie
Elle fréquentait un bistrot, rempli de mat'lots, en face du dépôt
Quand je r'pense à mes plaisirs, j'aime mieux m'étourdir que d'me souvenir.
Ah, Fanny de Recouvrance, j'aimais tes yeux malins
Quand ton geste plein d'élégance balançait les marsouins
Je n'étais pas d'la maistrance, mais j'avais l'atout en main
Quand tu v'nais m'voir le dimanche, sur le "Dugay-Trouin".
3 - A c't'heure, je suis retraité, aux Ponts et Chaussées, maître timonier
Je fais le service des phares, et j'écoute la fanfare
De la mer en son tourment, d'Molène à Ouessant, quand souffle le vent
L'tonnerre de Brest est tombé, pas du bon côté, tout s'est écroulé.
Dans c'qui reste de Recouvrance, n'logerait pas un "sacco"
Et Fanny ma connaissance est morte dans son bistrot.
J'n'ai plus rien en survivance, et quand je bois un coup d'trop
Je sais que ma dernière chance s'ra d'faire mon trou dans l'eau.
4 - …/…