Les enjeux de sécurité apparaissent, en ce début d'année 2011, relativement mineurs, contrôlables, sinon contrôlés. Pour les Européens de l'Union, le risque majeur est en effet économique: si le contrat de base de la construction européenne, celui d'une croissance continue et partagée entre un nombre toujours plus grand de citoyens, était rompu, c'est l'ensemble de l'édifice qui risquerait le délitement.
Vu d'Europe, l'environnement international cumule trois priorités. La dégradation du Sud: Moyen-Orient ou Afrique subsahaienne. Cette zone représentera en effet d'ici vingt ans1.5 milliards d'habitants, très jeunes, dont plus de la moitié dans un état d'extrême pauvreté, alors que les dégradations environnementales et l'accès aux ressources d'eau potable représenteront des défis collectifs vitaux. La probabilité de conflits locaux et régionnaux, sur fond de compétition pour les ressources naturelles, domine en Afrique. Le nombre de pauvres y atteint 303 milions aujourd'hui contre 160 en 1981, et les prévisions suggèrent que, si rien n'est fait pour inverser cette tendance d'ici vingt ans, 38% de la population africaine sera en état d'extrême indigence. Au Moye-Orient, c'est la permanence d'un arc de crises majeures - Israël-Palestine, Liban, Irak, Iran - qui obère toute possibilité de développement etr de stabilisation. Même avec la nouvelle politique de Barak Obama, aucune dynamique de stabilisation ne se dessine dans la région. Le conflit israélo-palestinien s'enferre dans le cycle colonisation-terrorisme-radicalisations politiques, le Pakistan devient de plus en plus perméable aux affrontements jusqu'ici circonscrits à l'Afghanistan, la question de la prolifération nucléaire, à partir de l'Iran, pourrait remettre en cause l'équation stratégique régionale avec des effets en chaîne incalculables.
L'éclatement de la question russe constitue une égale priorité. La Russie est l'un des Etats dont l'évolution est la plus incertaine. D'un côté, un certain enrichissement porté jusqu'à la crise de 2008 par la hausse des prix de l'énergie, qui pourrait assurer la modernisation progressive de l'économie russe et l'interdépendance des marchés européens. De l'autre, un retour de l'autoritarisme politique à l'intérieur, doublé d'une contestation stratégique, parfois violente, à l'égard de l'ordre européen issu à la fin de la guerre froide. Une stratégie de grande puissance européenne crispée sur une définition contestable de ses intérêts vitaux. Le tout, sur fond de déclin démographique spectaculaire (la Russie devrait pedre 10 % de sa population au cours des vingt prochaines années). La question russe (Quelles frontières? Quel régime politique? Quelle influence stratégique? Quelle identité?) risque ainsi de dominer la scène stratégique européenne, pour un long temps.
La montée en puissance de l'Asie représente enfin une inconnue majeure. A tous les égrads, le XXI° siècle sera marqué par les évolutions du continent asiatique. La démographie est déjà un indicateur massif de ce déplacement du centre de gravité international: en 2005, un habitant sur deux de la planète sera asiatique. Sur le plan stratégique, les possibilités de remise en cause du statu quo sont réelles: de la part de la Corée du Nord, s'agissant de la prolifération nucléaire; au sujet de Taiwan, quel qu'en soit l'élément déclencheur; s'agissant des évolutions de la péninsule indienne et notamment de la stabilité du Pakistan nucléaire; de la part de la Chine enfin, dont la montée en puissance est un élément d'inquiètude dans tous les pays de la région, mais dont les fragilités internes pourraient être également à l'origine de violentes déstabilisations, le tout sur fond de compétition avec les pays occidentaux pour l'accès aux ressources énergétiques de l'Afrique et du Moyen-Orient.
A ces trois enjeux stratégiques, il convient d'ajouter deux contraintes nouvelles, issues de la mondialisation, et susceptibles de modifier en profondeur la facon dont les Européens devront envisager les conditions et les moyens de leur sécurité. La première découle de la relativité nouvelle de la puissance américaine. L'Amérique aborde en effet cette deuxième décennie du siècle doublement affaiblie. Par la mondialisation d'une part, qui favorise la montée en puissance d'autres acteurs internationaux. Mais aussi parce que les Etats-Unis doivent réparer une décennie d'errements de la politique américaine elle-même. Les deux piliers de leur puissance, la suprématie militaire d'un côté, et la réussite économique de l'autre, se retrouvent en effet dans un état de grande fragilité: sur le plan stratégique, les Etats-Unis ne parviennent ni à éradiquer le terrorisme, ni à renverser la dynamique conflictuelle à l'oeuvre au Moyen-Orient.
Enfin, les Européens doivent prendre en compte un autre effet stratégique de la mondialisation: la relativité de la puissancce militare et de l'usage de la force. La guerre froide avait sacralisé le rôle des appareils militaires et des rapports de force dans la structure du système international. Dans le nouveau système qui s'esquisse, la dimension militaire de la puissance est devenue relative. La grande leçon des crises extérieures de la dernière décade (Irak, Iran, Liban, Afghanistan et même Kosovo) est que l'on ne règle pas des crises politiques complexes à partir des seuls outils militaires. Mais le cas de l'Iran montre a contrarion que les seuls outils diplomatiques peuvent être inopérants pour régler une crise. Pour l'Union européenne, cette articulation entre le hard et le soft power, ente les moyens militaires et civils, entre la force et la norme, représente un chantier majeur.