Vingt ans après la Bosnie, plus de dix ans après Saint-Malo, l'Europe semble toujours aussi incapable de parler d'une seule voix et d'agir de manière unie, cohérente et stratégique.Les divisions européennes vis-à-vis de l'opération humaniatire en Lybie sont l'illustration la plus récente de cette paralysie. Au-delà du cas lybien, où en dépit de l'abstension des uns et de l'unilatéralisme des autres, une action internationalea néanmoins été improvisée, l'ambition diplomatique et stratégique de l'Union est en berne.
En son sein, dans son voisinage immédiat ou dans le concert des grandes puissances, l'Union est fragilisée.
Analystes et experts attribuent généralement cette faiblesse européenne à la nature particulière de l'identité et du projet européen et à la spécificité des politiques communes quui en sont l'expresion. Dans sa version la plus radiale, l'argument revient à dire que l'Europe n'étant pas un Etat au sens wébérien du terme, elle ne peut en réalité articuler une stratégie et une diplomatie véritables, qui demeurent une prérogative essentiellement régalienne. Outre les défauts inhérents à l'exercice même d'une "grande stratégie", l'Union européenne présente une carence supplémentaire: son discours paraît peu crédible dès lors que son application dépend du bon vouloir des capitales, une modalité dont Moscou, Pékin et Washington sont très conscients. Sans réelle influence sur le plan international,la valeur ajoutée d'une stratégie européenne se réduit au mieux à une clarification interne,au pire, à un exercice futile.
Dans leurs versions moins manichéennes, ces arguments soulignent au niveau de l'Union le manque d'infrastructures adaptées, de capacités organisationnelles suffisantes et de moyens militaires adéquats. Cette capacité administrative est nécessaire à la fois dans la formulation, la cohérence et l'application d'une diplomatie européenne efficace. Dans ce que les théoriciens des relations internationales appellent une perspective réaliste néoclassique, cette qualité est un des fondements essentiels de l'action internationale et de l'efficacité diplomatique. Bien entendu, la prise de conscience dans ce domaine fut réelle, et ce, depuis l'exercice de la convention dès 2002. Mais la mise en oeuvre du Traité de Lisbonne, dont les avancées les plus notables concernent les affaires étrangères, est plus délicate que les rédacteurs l'avaient supposé et les Etats-membres anticipé. Sans entrer ici dans les arcanes juridiques et politiques des batailles typiquement bruxelloises liées au poste de ministre des Affaires étrangères et au service d'action diplomatique extérieure, il semble clair que l'équilibre reste précaire entre les différentes présidences de la Commission et du Conseil, sans parler de l'intrusion de plus en plus fréquente du Parlement dans ces domaines. En théorie,le procéssus devait favoriser une socialisation et une cohésion croissantes entre acteurs disséminés à la fois entre pays membres mais aussi entre différents ministères souvent cloisonnés et rlevant de cultures stratégiques divergentes. A terme, il devait déboucher sur une prise de conscience progressive d'un intérêt proprement européen.
L'européanisation d'intérêts stratégiques nationaux est en pratique beaucoup plus difficile qu'il n'y paraît. L'esprit de Lisbonne, si on peut le qualifier ainsi, implique en effet une dilution des intérêts nationaux au profit d'un cadre européen plus large. Mais l'adoption d'un intérêt plus général encore abstrait ne peut s'effectuer au détriment d'intérêts particuliers essentiels. Si, par exemple, la discussion porte sur le comportement problématique de la Russie, il est impensable qu'au nom d'un équilibre consensuel à 27, les intérêts vitaux de la Finlande, stratégiquement plus menacés, soient relégués au mêmepied que la passivité autrichienne ou l'indifférence portugaise. Inversement, pour les grands d'Europe, l'européanisation des politiquespeut s'avérer factice si ces derniers continuent à en assumer l'essentiel du fardeau ou nuisible dès lors qu'elle implique une perte d'influence. Ainsi, certaines opérations militaires peuvent bien recevoior un drapeau bleu aux étoiles dorées, , mais si lma France en assume la grande partie des risques et des coûts, cette européanisation est plus symbolique que réelle. Tel était précisément l'avantage fondamental des groupes d'avant-garde, flexibles et informels, qui prenaient en compte la variété et la hiérarchie des enjeux en présence, en évitant la dilution vers le plus petit dénominateur commun. La majorité doit être stratégiquement qualifiée ici et maintenant et non abstraitement pondérée toujours pareil. Certes, dans tous les cas, la coopération entre les Grands demeure la consition indispensable à une politique réelle et efficace. Mais elle n'est pas suffisante.